Comme le note très justement le musicologue Sébastien Gaudelus, lorsque Johann Sebastian Bach compose ses trois sonates pour viole de gambe et clavecin, la viole de gambe est un instrument qui a encore en Allemagne la faveur des compositeurs et dont le répertoire ne cessera de s’enrichir jusque vers 1780. Si au début du 18ème siècle elle joue un rôle à part entière dans de nombreuses pièces de musique de chambre, c’est sans doute en tant qu’instrument soliste qu’elle fut le plus sollicitée. Les trois sonates BWV 1027-1028-1029 ne constituent pas l’unique exemple d’utilisation de la viole de gambe par Bach. En effet, régulièrement employée dans la basse continue, elle se voit confier un rôle important dans plusieurs œuvres instrumentales ainsi que dans la musique vocale. Dans ce domaine la tradition luthérienne en faisait un usage quasi systématique en accompagnement du chant, et notamment dans les lamenti et chants funèbres. Dans le même esprit, Bach l’employa à plusieurs reprises dans ses cantates et passions. Bach composa ces trois sonates pour viole - ainsi qu’un grand nombre d’autres œuvres de Musique de Chambre pendant la période où il fut Cantor à Leipzig (1723 - 1750). Elles furent dédiées à Christian Ferdinand Abel, célèbre gambiste virtuose allemand, qui fut également compositeur. Abel prit des cours avec Bach et eut une importante activité professionnelle à Leipzig, durant une période située entre 1737 et 1743. Le fait qu’il soit le dédicataire de ces sonates de la maturité de Bach donne un éclairage particulier sur cette musique. En 1743, Bach prit la direction du Collegium Musicum de Leipzig, une société musicale formée d’étudiants et des musiciens professionnels, fondée en 1702 par Telemann. Avec le Collegium, Bach donna des concerts tous les vendredis au Café Zimmermann. Il y exécuta de nombreuses œuvres de musique de chambre, ses concertos pour clavecin et des cantates. C’est en ce lieu que furent exécutées les trois sonates, Abel à la viole de gambe et Bach au clavecin. Toutefois, Bach compose ses sonates pour la viole de gambe et le clavecin selon des méthodes nouvelles. Il reprend à son compte l’héritage de la sonate en trio corellienne pour en créer une nouvelle forme, la sonate pour un instrument et clavecin obligé ; la partie de main droite du clavier étant écrite par Bach au lieu d’être laissée à la libre réalisation du claveciniste continuiste. Ainsi les deux instruments dialoguent de concert en une véritable polyphonie imitative.